L’étude du Conseil d’État relative à l’organisation des procédures contentieuses en matière de droit des étrangers et d’asile, finalisée en février 2020 et intitulée « 20 propositions pour simplifier le droit des étrangers dans l’intérêt de tous », a été rendue publique.
Le SJA avait, à l’occasion de son audition par le groupe de travail, élaboré un livre blanc du contentieux des étrangers dressant nos constats et portant des propositions de réforme.
Vous trouverez ICI l’étude sans ses annexes. Nous vous proposons ci-dessous une analyse résumée avec des commentaires des principales propositions du rapport, notamment la simplification des procédures, l’examen complet et ab initio de la situation de l’étranger, la suppression de l’appel en contentieux « Dublin » et le refus du passage au plein contentieux.
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La première partie de l’étude, intitulée « Considérations liminaires » pose un intéressant cadre de réflexion quant à l’importance du contentieux des étrangers devant le juge administratif, tant symboliquement que numériquement. Il a notamment paru bon au Conseil d’État d’effectuer les rappels suivants, auxquels on ne peut que souscrire :
- l’efficacité des procédures juridictionnelles dépend de celle de l’action administrative ;
- l’urgence ne peut être généralisée, et statuer en urgence n’a de sens que si des perspectives d’éloignement sont effectivement proches ;
- la phase contentieuse, qui nécessite une durée minimum incompressible, doit être intégrée comme une phase normale du traitement de la situation d’un étranger, et le droit au recours effectif doit être garanti en toute circonstance ;
- la réduction des délais de jugement en contentieux des étrangers recèle un effet d’éviction sur les autres matières, dont il faut tenir compte ;
- les garanties nécessaires au maintien d’une justice de qualité doivent être préservées ;
- les objectifs textuels de réduction des délais se heurtent à la réalité des moyens limités de l’administration et de la juridiction administrative ;
- la situation des étrangers, sur laquelle l’administration puis le juge administratif sont amenés à se prononcer, est en constante évolution, et ce d’autant plus que les délais de traitement par l’administration et/ou le juge sont longs.
La deuxième partie de l’étude est consacrée à dresser un certain nombre de constats (« Des procédures excessivement complexes, partiellement inadaptées et inutilement répétées »). Il est notamment reconnu par le Conseil d’État qu’« en l’état du droit », l’équilibre entre le droit à un recours effectif, l’efficacité du traitement contentieux et la bonne administration de la justice est « insatisfaisant ». Des constats de dysfonctionnements structurels, ayant des répercussions sur les procédures contentieuses, au rang desquels les délais excessifs d’enregistrement et de traitement des dossiers par les préfectures, sont posés.
La troisième partie de l’étude enfin, intitulée « Des procédures plus simples, plus fluides et plus exhaustives », est consacrée aux propositions.
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La proposition principale, n° 1, tend à réduire le nombre de procédures contentieuses applicables, pour n’en retenir que trois :
- une procédure « ordinaire » (délai de recours d’un mois, délai de jugement de six mois, formation collégiale avec conclusions du rapporteur public susceptibles de dispense), pour toutes les décisions d’éloignement (OQTF et remise UE, principalement) qui ne sont pas accompagnées d’une mesure visant à l’exécution forcée de la décision ;
- une procédure d’urgence à court délai (délai de recours de 7 jours, délai de jugement de 15 jours, juge unique sans conclusions du rapporteur public, clôture de l’instruction à l’audience) pour les décisions de transfert « Dublin » et pour les autres décisions d’éloignement (OQTF et remise) lorsqu’elles sont assorties d’une assignation à résidence ;
- une procédure d’urgence à très bref délai (délai de recours de 48 heures, délai de jugement de 96 heures, juge unique sans conclusions du rapporteur public, clôture de l’instruction à l’audience) pour toutes les décisions d’éloignement assorties d’une mesure de placement en rétention administrative.
Si le SJA se félicite de ce que le Conseil d’État a fait le choix de proposer une simplification drastique des procédures contentieuses applicables, il s’interroge en revanche sur l’opportunité de faire dépendre les modalités de jugement de deux facteurs dépourvus de lien avec la difficulté du dossier ou la situation de l’étranger au regard du droit au séjour, à savoir, d’une part, le choix de l’administration de prendre ou non une mesure d’exécution forcée (sans garantie que ce choix ne débouche sur une exécution effective) et, d’autre part, les moyens dont dispose l’administration pour exécuter les mesures d’éloignement (nombre de places disponibles en centre de rétention notamment), alors qu’en l’état le taux d’exécution de ces dernières reste inférieur à 15 %, ce dont l’étude se fait au demeurant l’écho.
Une telle proposition n’offre par ailleurs qu’une réponse imparfaite à la difficulté tenant au fait que la perspective d’exécution forcée de la mesure d’éloignement, assortie de ce fait d’une mesure de contrainte, demeure trop souvent purement théorique, le juge de l’urgence étant alors indûment saisi.
La proposition n° 3 conduit en effet à confier au juge de la mesure d’éloignement l’examen du droit au séjour de l’étranger. Le SJA, qui plaide pour un maintien de la distinction entre contestation de l’éloignement et contestation du droit au séjour, rappelle que les conditions de jugement, notamment lorsque le délai de jugement imparti n’est que de 96 heures, à supposer que le placement en rétention et partant la mise en œuvre d’une telle procédure soient justifiés, ne sont pas compatibles avec un examen approfondi du dossier, s’agissant en particulier des titres de séjour sollicités pour motifs médicaux.
Le Conseil d’État propose également (proposition n° 4) de supprimer l’appel à l’encontre des jugements statuant sur des décisions de transfert « Dublin » et sur les décisions liées (assignation). Le SJA regrette qu’il soit proposé de supprimer un degré de juridiction, même s’il reconnaît le bien-fondé des arguments développés dans le rapport, notamment la relative inutilité de l’appel dès lors que ce dernier n’est suspensif ni de l’exécution de la décision ni du délai pour transférer l’intéressé à l’État membre responsable et qu’il conduit les cours à prononcer massivement des non-lieux à statuer.
La proposition n° 5, présentée également comme particulièrement importante, préconise de contraindre l’administration à procéder à un « examen exhaustif du droit au séjour du demandeur », lequel aurait dès lors l’obligation de présenter l’ensemble des éléments susceptibles de lui permettre de bénéficier d’un titre de séjour à la date de sa demande.
Le SJA se satisfait de l’attention portée par l’étude à la phase administrative, en amont de la phase contentieuse. Nous estimons toutefois que la solution proposée – d’un examen de la situation de l’étranger au regard de tous les fondements possibles de délivrance d’un titre de séjour plutôt qu’un examen de la demande telle qu’elle est présentée – sera difficile à mettre en œuvre, eu égard au manque de moyens de l’administration préfectorale. Elle peut également apparaître contradictoire avec le constat du rapport selon lequel la situation des étrangers évolue avec le temps.
Le SJA n’est toutefois pas opposé à ce que cette proposition fasse l’objet d’une expérimentation, mais alerte sur le fait que des décisions administratives plus longuement motivées engendreront nécessairement des décisions juridictionnelles alourdies, ce qui paraît inopportun.
Le SJA salue également la prise de position claire du Conseil d’État contre la transformation du contentieux de la police administrative spéciale des étrangers en un contentieux de pleine juridiction. Le SJA se félicite que toute la mesure ait été prise des inconvénients que recèlerait une telle évolution, et partage l’affirmation selon laquelle les outils à la disposition du juge doivent être davantage mobilisés pour renforcer l’utilité et l’effectivité des décisions d’annulation par le juge des refus de titre de séjour.
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Les parties 3.3 et 3.4 de l’étude détaillent des propositions moins structurelles mais néanmoins importantes.
Nous paraissent ainsi intéressantes et bienvenues : l’amélioration de l’échange d’informations entre juridictions (judiciaires et administratives), ainsi qu’entre juridictions et administrations, pour rendre les procédures d’urgence plus fluides ; l’amélioration des audiences pour les détenus proches de la levée d’écrou ; l’invitation à des temps et des espaces d’échange entre magistrats sur le contentieux des étrangers.
Appellent en revanche la vigilance les propositions suivantes, en raison de leur impact potentiel sur la charge de travail assumée par les juridiction administratives de droit commun : le transfert envisagé du contentieux des décisions d’irrecevabilité de l’OFPRA sur les demandes d’asile en rétention de la CNDA vers les tribunaux administratifs ; l’utilisation de l’aide à la décision et des outils numériques pour le traitement des dossiers d’étrangers ; la mise en place de chambres dédiées au contentieux des étrangers.
Devront par ailleurs être précisées : la refonte du contentieux du droit au maintien sur le territoire français dans l’attente d’une décision de la CNDA ; la simplification de l’articulation entre les décisions de rejet de demande d’asile et les mesures d’éloignement prises sur leur fondement.
Le SJA partage enfin le vœu du Conseil d’État d’« améliorer le fonctionnement de la chaîne administrative afin de prévenir d’inutiles contentieux » : réduction des délais d’attente aux guichets des préfectures, respect des délais légaux ou réglementaires de traitement des dossiers, modernisation des systèmes d’information de l’administration ; amélioration de la défense de l’administration devant les juridictions. Nous formulons donc le souhait que des moyens supplémentaires, à la hauteur des enjeux, soit accordés tant aux administrations qu’aux juridictions en charge des dossiers des étrangers en France.
Le SJA continuera à défendre les intérêts des magistrats et la qualité de la justice administrative, dans le cadre des suites à donner à cette étude.