Sensibilisation sur la charge de travail - Episode 2

Après le premier épisode du plan de sensibilisation du SJA sur la charge de travail qui invitait les magistrat(e)s à s'interroger sur la soutenabilité de leur charge de travail, le SJA souhaite, dans ce deuxième volet, revenir sur la manière dont la norme « Braibant » n’est plus toujours, par l’utilisation qui en est faite, suffisamment protectrice.

C’est quoi, la norme « Braibant » ?

La norme Braibant, ce sont 8 dossiers par audience par magistrat(e) rapporteur(e), pour 20 audiences par an, en principe.

On parvient à ce chiffre de 8 dossiers en partant du postulat que le temps moyen qu’un(e) magistrat(e) rapporteur(e) doit passer pour traiter un dossier est d’environ une journée : pour des audiences à quinzaine, sur dix jours ouvrés disponibles, une fois déduites une journée pour la séance d’instruction et une journée pour l’audience, le délibéré et l’instruction des dossiers, 8 jours sont supposés être consacrés à la préparation d’une audience. Cette norme, qui concerne les rapporteur(e)s en tribunal administratif, est calculée un peu différemment en cour administrative d'appel mais reste liée à cette idée de huit journées complètes de travail sur dossier.

Elle a été instaurée à la fin des années 1960, à l’origine afin d’améliorer la productivité des magistrats administratifs, à une époque où la rédaction d’un jugement était plus laborieuse qu’à présent (recherche documentaire sur support papier, élaboration des jugements à la main puis dactylographiés), mais où les dossiers étaient souvent plus simples (écritures courtes, peu de pièces jointes, désistements et irrecevabilités jugés en formation collégiale).

Les évolutions du contexte contentieux et l’augmentation des objectifs productivistes ont conduit à ce que la norme de 8 dossiers soit si dévoyée qu’elle en devienne diabolique.

Mais pourquoi la norme est-elle aujourd’hui dévoyée ?

- Le recours accru aux ordonnances a eu pour effet direct un durcissement spectaculaire du stock ; de manière générale, les dossiers enrôlés sont aujourd’hui beaucoup plus lourds et complexes qu’il y a cinquante ans ;
- L’instruction des dossiers s’est alourdie et les procédures dérogatoires se sont multipliées (urbanisme, étrangers, contentieux sociaux, etc.) ;
- La dématérialisation a contribué à complexifier des dossiers en raison de productions de plus en plus nombreuses, complexes et volumineuses ;
- Le poids des permanences n’est pas ou pas assez pris en considération, tout comme l’augmentation d’autres charges supportées par les magistrat(e)s liées aux groupes de travail, aux fonctions de référents locaux ou aux présidences de commissions.

L’idée originelle d’un calcul d’une charge de travail raisonnable a été perdue de vue, tandis que l’objectif d’en demander toujours davantage aux magistrat(e)s a pris de plus en plus de place.

Des dossiers trop facilement jugés « simples » (étrangers, aide sociale) sont souvent comptés pour 0,5 ou même moins, les dossiers lourds sont en revanche rarement comptés pour 2 ou 3 (ou plus). La « pondération » ne paraît fonctionner qu’à la hausse du nombre de dossiers à enrôler.

Évidemment, et heureusement, dans certaines juridictions et chambres, tout se passe bien. Pourtant, dans de trop nombreuses chambres et trop nombreuses juridictions, les magistrat(e)s souffrent d’une charge de travail excessive.

La plupart des magistrats débutants n’ont pas la chance de se voir expliquer qu’il n’est pas raisonnable de travailler soir et week-ends de manière répétée (au contraire, on leur explique trop souvent qu’ils vont souffrir), et se voient simplement indiquer qu’il faut enrôler huit dossiers à chaque audience, sans précision sur ce que cela recouvre. Alors que 8 n’égale pas toujours 8 !

Au bout du compte, la norme a augmenté dans certaines juridictions, ou est restée inchangée mais avec des pratiques de pondération toujours à la hausse !

En quoi est-ce un problème ? la norme ne devrait-elle pas être abandonnée ?

Les expérimentations de suppression de la norme et d’individualisation des objectifs n’ont pas été de nature à répondre à la problématique de la charge de travail, voire l’ont aggravée.

Les risques, dans un environnement dans lequel le gestionnaire des magistrat(e)s conserve une approche statistique, ce sont :
- l’augmentation rampante de la productivité demandée,
- l’accroissement des inégalités structurelles entre les magistrat(e)s,
- la dégradation de la qualité des décisions rendues,
- l’apparition de situations d’épuisement professionnel, que l’isolement aggrave.

En outre, « sans norme, pas de décharge possible ». CQFD.

Alors, que faire ?

Lors de leur dernier Congrès, les adhérent(e)s du SJA ont rappelé leur attachement à la norme comme référence pour la détermination d’une charge de travail raisonnable.

La norme permet aussi d’aménager la charge de travail des collègues qui viennent de prendre leurs fonctions (la « mi-norme », qui leur permet de rapporter deux fois moins qu'un collègue expérimenté), aménagement que le SJA souhaite voir également mis en œuvre en cas de changement de matière, de fonctions, de passage en appel ou de retour en juridiction après une longue absence.

Pour une norme protectrice et un métier qui a du sens, quelques bonnes pratiques à promouvoir :

- Réclamer que soit assuré l’équilibre des stocks en fonction de la lourdeur de certaines matières, de l’ancienneté des dossiers à traiter, de l’expérience des magistrat(e)s apporteur(e)s ;
- Appliquer la pondération du nombre de dossiers à la hausse ET à la baisse ;
- Conserver la norme de 8 dossiers comme une référence correspondant à 8 jours de travail, en faisant confiance aux magistrat(e)s sur le décompte précis du nombre de dossiers et à quoi cela correspond ; en cas de doute, promouvoir l'échange avec le ou la président(e) et les collègues sur la valeur à accorder aux dossiers ;
- Appliquer systématiquement une décharge pour tenir compte des sujétions liées notamment aux permanences, commissions, formations et autres activités annexes non rémunérées.

Suivre ces bonnes pratiques, c’est adapter sa charge de travail à son temps de travail, et pas l’inverse.

C’est aussi préserver la charge de travail des autres membres de la chambre et du greffe et la qualité des décisions rendues pour le justiciable.

Le SJA encourage les magistrat(e)s confronté(e) à une charge de travail excessive à engager (ou à poursuivre) le dialogue sur le sujet au sein de leur chambre, et au niveau de la juridiction en relation avec le ou la délégué(e) SJA.

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