Elections CSTACAA-interview de Serge Goues - FilDP

Serge Gouès - « Notre indépendance ne sera pas garantie tant que le paritarisme ne sera pas reconnu au CSTACAA »

Article paru sur le site www.fildp.fr

30-03-2017 par Fil DP | 08h00
 
A quelques semaines des élections des représentants des magistrats administratifs pour siéger au Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, Sophie Tissot, présidente de l’Union syndicale des magistrats administratifs (USMA), et Serge Gouès, président du Syndicat de juridiction administrative (SJA), ont accepté de répondre à des questions identiques permettant de mesurer les points de convergences et de divergences entre ces deux organisations syndicales. Nous publions, aujourd'hui, les réponses apportées par Serge Gouès , celles de Sophie Tissot le seront demain (v. l'interview) (NDLR).

Fil DP • Quel bilan pouvez-vous dresser de votre action au cours du mandat qui s’achève ?

Serge Gouès • Le bilan est pour nous plutôt positif puisque nous avons réussi, malgré tout, à améliorer le statut et la rémunération des magistrats que ce soit avec la revalorisation acquise pour les jeunes conseillers, qui avaient connu un décrochage important, ou que ce soit avec la création d’un échelon BBis pour les premiers conseillers qui ne passent pas président. Par ailleurs, nos enquêtes sur la charge de travail ont aussi permis de bousculer les idées reçues, grâce à l’importante participation en général, et à celle des présidents de chambre en particulier. On se réjouit que cela ait conduit au lancement d’un audit par le gestionnaire.

Notre action a également permis d’infléchir les réflexions sur les réformes en cours, que ce soit la généralisation de Télérecours ou le décret JADE. Nous avons eu, sur ces dossiers, des réflexions critiques, mais qui ont été constructives, comme le montre par exemple la réduction du champ des requêtes manifestement dénuées de tout fondement pouvant être rejetées par ordonnance. 

Enfin, nous nous réjouissons de la mise en place d’un agenda social avec un calendrier qui nous a amène à nous réunir tous les trois mois sur un sujet donné avec le gestionnaire . Ces réunions sont actuellement interrompues du fait des élections, mais elles reprendront en juillet prochain. Il était important pour nous que ce rendez-vous devienne régulier et qu’il se déroule avec les deux organisations syndicales – SJA et USMA -, car la négociation est toujours plus efficace à deux. Il y a encore quelques années, sur le décret JADE, nous aurions été convoqués séparément, nos propos auraient eu moins de poids et cela aurait nourri les divisions entre nous sur qui a obtenu quoi. C’est donc un véritable progrès.

Fil DP • Quel regard portez-vous sur l’état du dialogue social aujourd’hui au sein des juridictions administratives ?

Serge Gouès • Il faut différencier le dialogue social avec le gestionnaire du dialogue social au sein des juridictions.

Avec le Conseil d’Etat, l’adjectif juste est celui de « difficile ». En dépit de l’ouverture que constitue l’agenda social et que j’ai salué, ce dialogue souffre inévitablement du poids prédominant du gestionnaire au CSTACAA . C’est d’ailleurs pour cela que le SJA a boycotté, pour la première fois de son histoire, le CSTACAA de novembre 2016.

Au sein des juridictions, on constate surtout une pression productiviste qui pèse sur les épaules des chefs de juridictions pour lesquels les ordres viennent d’en haut sans pouvoir être discutés. Cette tendance est nettement renforcée par les dernières réformes dont la mise en œuvre est conduite à marche forcée. Et certains chefs de juridictions en deviennent très autoritaires, ce que l’on ne voyait pas avant. 

Pour faire face à cette tendance, il est évident que notre force réside alors dans l’adoption de motions communes au SJA et à l’USMA : depuis novembre, nous en avons signées cinq et les cinq ont porté leurs fruits. Mais, il faut avoir conscience que, communes ou pas, 90% des motions que nous adressons actuellement le sont aux chefs de juridiction qui, pour certains, sont trop zélés. Ces chiffres signifient quand même que la situation « dérape » dans presque une juridiction sur 10.

Fil DP • Quelles sont vos dossiers prioritaires et les positions que vous entendez défendre dans le cadre des années à venir ?

Serge Gouès • Le programme dans le détail est en train d’être finalisé autour de quatre priorités.

En premier lieu, il y a la question des conditions de travail des magistrats. Nos visites en juridiction nous montrent une dégradation sous la pression productiviste que j’évoquais précédemment. Quand on « siphonne » les dossiers faciles par ordonnance, il ne reste que les plus lourds. Obtenir un dialogue social qui ne soit pas réduit à sa plus simple expression est donc important.

Cela rejoint notre deuxième priorité : l’indépendance. C’est une condition essentielle pour maintenir une justice administrative de qualité. Mais, cette indépendance ne sera pas garantie tant que le paritarisme ne sera pas reconnu au CSTACAA.

Une autre priorité consiste à préserver une justice de qualité. Là encore, le SJA refuse, puisque la justice administrative est un service public, que ce soit une justice rendue par ordonnance, à géométrie variable suivant l’importance du requérant.

Enfin, il est important de se préoccuper de l’attractivité des fonctions et des carrières. Le corps est de moins en moins attractif, comme le montrent les effectifs inscrits aux concours ces dernières années. Cela finit par se savoir que les conditions de travail se détériorent… Et en plus, la carrière n’est pas attrayante. Est-ce que vous avez conscience qu’il faut en moyenne 16 ans avant de pouvoir accéder à des fonctions de président ! Cette moyenne est à 12 ans pour nos collègues dans les chambres régionales des comptes, pour vous donner un ordre d’idées.

Fil DP • Comment définiriez-vous votre conception de l’action syndicale ?

Serge Gouès • Nous avons la chance d’avoir plus de 300 adhérents et 33 délégations syndicales, ce qui permet à chaque magistrat d’avoir accès facilement à un délégué du SJA dans sa juridiction. Cela permet aussi que vive localement le dialogue social. La parole peut ainsi circuler. Et nous sommes également très attachés à maintenir le contact avec les magistrats en détachement. Ils sont un peu plus de 300, et, comme ils ont vocation à revenir, ils ont le droit d’être associés. Cette présence auprès des magistrats est fondamentale car elle nourrit notre réflexion auprès du gestionnaire.

Vis-à-vis de ce dernier, notre action est exigeante mais réaliste. Nous ne somme pas complaisants. En revanche, nous sommes en faveur de solutions pragmatiques quand elles existent et améliorent la situation.

Enfin, notre action se nourrit d’une tradition d’analyses et de réflexions sur les grands sujets. Nous avons toujours pu compter dans nos rangs sur des adhérents qui aiment analyser les textes qui concernent la vie des juridictions administratives, y réfléchir et nous fournir des réflexions qui nous permettrons d’alimenter les débats.

Fil DP • Qu’est-ce qui vous distingue du syndicat concurrent ?

Serge Gouès • En premier lieu, je pense que la densité de notre réseau fait la différence avec pour conséquence de pouvoir être au plus près de nos collègues. 

Ensuite, j’ai le sentiment que nous avons une attention plus soutenue aux conditions de l’exercice des fonctions de magistrat et cela comprend l’analyse des textes qui régissent notre activité.

Par ailleurs, je pense que nous ne partageons pas totalement la même vision de la justice administrative. Pour nous, elle a une spécificité qui impose de ne pas se rapprocher des problématiques qui se posent dans les juridictions judiciaires. 

Enfin, mais cela peut être changeant même si c’est le cas actuellement, le SJA a une représentativité plus importante.

Fil DP • Qu’est-ce qui devrait pousser un magistrat à voter pour vous en juin prochain ?

Serge Gouès • Il m’apparaît avant tout important de dire à mes collègues qu’avant de les inciter à voter pour nous ou pour l’USMA, il faut surtout les inviter à voter. 

Si nous avons été forts au cours du mandat qui s’achève c’est parce que le taux de participation a été de plus de 70%. Le gestionnaire ne pouvait pas nous dire que nous ne représentions rien. Avoir un fort de taux de participation est indispensable pour que les représentants syndicaux puissent négocier, a fortiori, en étant orphelins du paritarisme au CSTACAA.

Pour inciter à voter pour nous, ensuite, je ne peux qu’inviter mes collègues à prendre connaissance de notre programme et de mesurer ce que notre réseau en juridiction signifiera pour eux. Et puis, je crois qu’ils savent que nous sommes sérieux et qu’ils peuvent compter sur nous.


NDLR - L'ordre de publication des deux interviews a été déterminé par tirage au sort.